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ruche nouée

DNSEP - ENSAD Nancy

Dans mon mémoire, j'ai développé l’idée que la matière végétale me paraît être la meilleure alternative matérielle aujourd’hui pour inscrire le design dans une démarche efficace de développement durable. Je questionne dans mon projet la manière de la transformer et de l’utiliser.​

Après avoir commencé par me questionner sur la culture de la matière végétale, notamment des plantes fibreuses comme le lin par le biais de la permaculture, j’ai découvert l’existence des plantes invasives sur lesquelles j’ai choisi de travailler. Il s’agit de plantes exotiques introduites par l’homme, capables de survivre et de se reproduire dans leur nouvel environnement au détriment des espèces locales. Elles représentent une biomasse conséquente qu’il faut essayer de valoriser. J’ai sélectionné la renouée du Japon par rapport à sa qualité et à sa quantité, dans le but de l’utiliser comme matériau pour le design.

 

La renouée est ramenée du Japon en 1828 puis cultivée à Leiden aux Pays-Bas avant d’être commercialisée dans toute l’Europe. Victor Lemoine, horticulteur et importateur de plantes à Nancy en commande régulièrement : elle apparait dans un herbier exposé à Nancy en 1853. On constate qu’elle s’échappe des cultures et des jardins botaniques en Lorraine à partir de 1915, comme on peut le constater sur les autochromes de Julien Gerardin qui témoignent de son expansion dans les campagnes. Elle est devenue aujourd’hui une plante invasive omniprésente dans le Grand Est et ses espaces naturels, bien au-delà des parcs où elle avait été introduite dans un but ornemental. 

 

La carte montre sa répartition géographique actuelle et j’ai mené l’enquête en me rendant sur différents lieux identifiés où l’on peut constater son impact sur le paysage : elle forme de grandes haies souvent aux abords des zones humides comme ici au bord de la Meurthe. Elle peut mesurer jusqu’à 3 mètres de hauteur en 2 mois à raison d’une croissance de 1 à 8 cm par jour, ses tiges sont creuses et de couleur rougeâtre, ses feuilles sont ovales et triangulaires (de 15 à 20 cm de long) et ses fleurs blanches se développent à leur base, le fruit (akène) mesure entre 2 et 4 mm et les rhizomes mesurent entre 7 et 10 mètres et sont enfouies dans le sol jusqu’à 4 mètres de profondeur. Elle se reproduit par multiplication végétative grâce aux rhizomes et aux fragments de tiges : il s’agit d’un cycle végétatif annuel dont le feuillage disparaît chaque hiver : l’énergie de la plante est stockée dans ses rhizomes qui redonnent naissance le printemps suivant à plus de tiges, elles lui permettent de résister à des températures en dessous de -20°C.

Mon but est de valoriser la plante qui a à l’origine plusieurs fonctions dans la nature (mellifère et fourragère) comme ressource matérielle, dans le but de l’accepter culturellement, de lui donner une autre appréciation et de changer la vision que l’on en a, puisque qu’elle est vue jusque maintenant comme un intrus, afin de limiter davantage son impact environnemental et de l’utiliser comme matière première pour offrir une alternative aux matières nocives utilisées aujourd’hui pour produire des objets.

La méthode de récolte s’inspire d’une méthode de lutte appliquée dans les zones infestées par les professionnels en charge des espaces naturels : il s’agit de fauches répétées qui permettent d’épuiser les rhizomes et ainsi contrôler son expansion, dans une démarche différente puisque les plantes sont actuellement détruites.

La composition chimique indique que c’est un matériau végétal biodégradable qui peut être réintroduit dans la nature en apportant du carbone au sol.

J’ai donc réalisé des recherches pour savoir comment transformer cette biomasse en matériau, d’abord en pâte à papier avec l’aide de la MJC Pichon de Nancy, puis par le biais de l’utilisation de liants naturels pour conserver ses qualités biodégradables : il s’agit donc de matériaux dérivés à partir des tiges en disposant les fibres par croisement pour obtenir une meilleure solidité : comme un textile non tissé.                                                                                        

J’ai ensuite fait des tests pour définir les propriétés mécaniques de la plante dont les résultats sont concluants puisqu’elle s’avère avoir une bonne résistance en traction : 2,7GPa, c’est à dire que l’on peut exercer un poids de 5 kg sur une surface de 1mm3 avant qu’elle ne casse.

 

Comme la renouée s’est montrée résistante à une certaine force qu’on lui applique, elle m’a donc semblé être adaptée à une utilisation en vannerie où la matière est soumise à une certaine tension. J’ai contacté le Comité de Développement et de Promotion de la Vannerie situé à Fayl-Billot, dans la région, afin de réaliser des tests de tressage : l’association, dont l’activité a pour but d’innover dans le domaine a été réceptive à ma problématique et à mes recherches, d’autant plus que la renouée est présente dans les oseraies qu’ils cultivent. Elle peut donc aussi représenter une ressource potentielle pour eux.

J’ai échangé et collaboré avec deux artisans vanniers pendant plusieurs mois pour réaliser des prototypes, mettre au point le processus permettant de transformer les tiges pour les tresser et définir quels types et motifs de tressage peut on exercer, ce qui nous a aussi permis de comprendre à quel moment couper les tiges pour qu’elles soient le plus solides et en même temps faciles à manipuler car elles restent dans l’état qu’elles ont au moment de leur récolte (par exemple très fibreuses si elles ont été coupées à la fin de l’été).

Les tiges sont donc transformées en éclisses, c’est à dire qu’on les divise en plusieurs tiges plus fines à l’aide de différents outils : le brin coupé au sécateur est incisé à l’aide d’une serpette, dans lequel on insère un fendoir qui permet de créer plusieurs tiges dans la longueur. Des tests de tressage ont ensuite été réalisés en retirant ou non la moelle (matière molle se trouvant à l’intérieur des tiges), puis calibrées selon plusieurs largeurs avant d’essayer de les tresser selon des motifs existants en les trempant dans de l’eau pour les assouplir ou non (zig zag, point enroulé…).Il s’est avéré que la renouée pouvait être cueillie, transformée en éclisses, stockée un certain temps puis trempée avant d’être travaillée. Puis nous avons poursuivit en l’associant à des montants verticaux en osier biologique pour essayer de l’assembler à une structure en bois par des ligatures. J’ai répertorié toutes les vanneries du Grand Est, on en compte donc 40, où la renouée pourrait être introduite comme nouveau matériau. Il pourrait être intéressant de poursuivre d’autres tests pour développer ensuite des outils spécialement adaptés à la renouée pour la préparer au tressage selon le résultat que l’on veut obtenir.

 

​J’ai ensuite voulu repenser la ruche contemporaine pour plusieurs raisons : la renouée, plante mellifère (qui produit du nectar utile aux abeilles) apparait dans les analyses de miel des apiculteurs et sert à compléter un apport en nectar en fin de saison car sa floraison est tardive : l’objet en renouée tressée permet ne pas perdre l’aspect mellifère de la plante et de compenser la perte de cette fonction qu’elle avait dans la nature puisqu’on la coupe ; de plus, on sait que les abeilles sont en voie de disparition aujourd’hui, c’est pourquoi je m’y suis aussi intéressé. Suite à des entretiens avec des apiculteurs locaux, je me suis aperçue que la ruche est pensée aujourd’hui pour la production alors que l’objet que je propose permet de laisser les abeilles dans une démarche instinctive moins industrielle qui les respecte davantage (on ne détruit pas leur travail, la cire lors de la récolte du miel, on ne leur donne plus de base en cire gaufrée : on leur laisse donc une partie de leur savoir-faire). La ruche propose donc une nouvelle fabrication, plus lente, et une consommation du miel en rayon régulée, différente des ruches Dadant car elle ne contraint plus les abeilles en difficulté aujourd’hui. Le consommateur est également respecté car il obtient les nutriments contenus dans la cire qui viennent s’ajouter à ceux du miel et dont le pressage à froid, si on ne le consomme pas tel quel, ne détruit pas les qualités contrairement à l’extraction mécanique.

Pour concevoir la ruche, je me suis inspirée d’anciennes ruches en paille ressemblant à des paniers renversés qui sont exposés au musée de l’Homme et que j’ai pu voir chez des apiculteurs les utilisant pour transporter des essaims. Elle est fabriqué en tressage, en point enroulé avec 15 kilos de renouée récoltée en fin de saison : pour compléter le cycle de vie de la ruche, j’ai imaginé les parties en vannerie démontables de leur base de bois afin de pouvoir être éventuellement recyclées en un autre matériau lorsqu’elles s’abîment. Quand à son fonctionnement, la ruche est donc composée d’un toit, d’une hausse qui contient le miel que l’on récolte suspendu à des barrettes de bois que l’on vient retirer, séparée par une grille à reine du corps de ruche dans lequel la colonie d’abeilles vit avec la reine, d’une entrée et d’une planche d’envol. La temporalité annuelle de l’objet et son utilisation (implantation au printemps) correspondent à celle de la plante dans la nature, récoltée au moment où elle possède le plus de qualités et à celle des étapes nécessaires à la fabrication de la matière qui sera tressée.

 

Je propose deux implantations de la ruche, la première est biologique : la ruche est un objet de transition qui peut être implanté sur des lieux en cours de restauration biologique afin de favoriser la pollinisation des nouvelles espèces qui évitent la reprise de la renouée et permettent de la réguler selon les études agronomiques menées, car elle prend le pas dans la compétition végétale sur les espèces locales, d’où l’enjeu de réintroduire des espèces compatibles avec les différents sols dans le but de retrouver un équilibre par l’humain, car au départ comme on le sait elle a été introduite par l’Homme.

 

La seconde implantation est pédagogique : les ruches utilisées dans les fermes pédagogiques et notamment la ferme du plateau de Haye de Nancy sont issues de l’industrie apicole (il s’agit du modèle courant d’exploitation qui est acheté), alors qu’il y a dans ce genre de lieu un interêt qui s’éloigne d’une production de rendement. Je me suis questionnée sur la manière de l’implanter dans le verger de la ferme, en proposant un aménagement prospectif dans lequel apparaît l’emplacement des ruches, qui a été défini suite des échanges avec l’apiculteur de la ferme et d’autres référents sur place. Il suggère un parcours, induit une circulation en lien avec celui qu’effectuent les abeilles dans un mouvement en cercle : le chemin est ainsi ponctué de plantes mellifères et permet de comprendre la synergie du lieu (c’est à dire la relation entre les arbres, les animaux, les plantes etc). On trouve des bandes florales sous les arbres et près des ruches, la végétation se développe sur différentes hauteurs, les poules sont rassurées par un paysage fermé selon un principe d’agroforesterie (qui consiste à les placer sous des arbres fruitiers). Au nord la haie horticole nourricière qui produit des baies permet de couper du vent et les ruches sont implantées selon la course du soleil, de manière à être exposées au bon moment de la journée en respectant donc le rythme des abeilles.

Le projet est résumé dans un cycle global, de la récolte de la plante aux différents applications que j’ai imaginé. Les objets dans lesquels est introduite la renouée du Japon racontent une réflexion sur le matériau végétal : il s’agit d’objets à valeur culturelle et de regard sur la nature qui ont une valeur symbolique, tout en illustrant une réflexion environnementale.

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